Cet ouvrage est en fait consacré aux entreprises islamistes en Algérie, ou, plus précisément aux tentatives islamistes de prise du pouvoir.
Hassan Zerrouky nous montre les débuts du phénomène, peu après l'Indépendance algérienne, son implantation progressive dans le pays, puis son expansion finale. Si le travail de Zerrouky recouvre toute l'activité des groupes islamistes armés, comme le MIA, le GIA, l'AIS, leurs activités maquisardes et terroristes jusqu'en 1999, c'est au début de son livre que se trouvent les informations les plus intéressantes. On y découvre en effet que l'islamisme, alors sous une forme relativement bénigne, fut cultivé soigneusement par l'Etat algérien, c'est à dire par le parti FLN - parvenu au pouvoir par des moyens très semblables à ceux qu'utiliseront plus tard l'AIS ou le GIA - dans le but de contrecarrer les aspirations de cette large part de la population algérienne - fortement occidentalisée pendant la période française - qui appelait de ses vœux un système politique plus démocratique et un système sociale plus libéral.
D'abord regardé comme une réaction sentimentale contre l'influence culturelle française, comme un réflexe fœtal de retour vers un passé arabo-islamique partiellement mythique, la politique d'arabisation linguistique voulue par le premier président de l'Algérie indépendante, Ben Bella, était aussi lourde d'avantages pour un groupe politique armé comme le FLN : la civilisation islamique n'a jamais généré elle-même de système démocratique…
Ben Bella importa donc d'Egypte des milliers d'instituteurs arabophones et fit débuter le processus d'arabisation de l'enseignement. Nombre de ces enseignants étaient liés au groupe islamiste des Frères Musulmans, persécuté à ce moment en Egypte par le régime nationaliste de Nasser.
Boumediene, successeur de Ben Bella, parvenu au pouvoir par la violence, pourtant officiellement socialiste, proclama l'islam religion d'Etat en 1976, deux ans avant sa mort.
Chadli, successeur de Boumediene, s'appuya sur l'aile islamisante du FLN. Il ordonna l'apologie de l'islam en pleine révolution islamique en Iran, promulga le Code de la famille - largement inspiré de la charia - en 1984 et encouragea la construction de mosquées. Ces dernières se multiplient alors, échappant à tout contrôle de l'Etat, lequel n'en a plus guère que 1000 sous sa coupe sur les 7000 existantes en 1986. Apparaissent alors les premières « tenues islamiques » pour hommes et femmes. Les groupes islamistes font œuvre charitable dans les quartiers pauvres, les étudiants islamistes disputent aux berbéristes et aux gauchistes le contrôle des syndicats étudiants. Le message religieux introduit dans le pays par les Frères Musulmans, ou revivifié à partir de l'enseignement de vieux théologiens algériens, comportait le plan d'une société idéale, bâtie selon les vœux et les directives de Mahomet et établie par les moyens qui lui étaient habituels (dont la violence). Ce projet de société idéal était donc, dans l'esprit d'une partie de la population, en réserve, susceptible de servir en cas de faillite du projet de l'Etat-FLN, socialisant et industriel. Ce projet islamique, cette utopie mahométane, était d'autant plus séduisant qu'une large partie de la population algérienne était encore analphabète, ou très partiellement éduquée.
La faillite du projet de société du FLN se produisit aux cours des années 80. La chute des prix du pétrole, principale ressource économique du pays, la gabegie économique, la corruption de l'administration, provoqua une grave crise économique. Chomage et difficultés de toute sorte provoquèrent une série d'émeutes en 1985, 1986 et 1988. L'Etat-FLN réprima, mais sous la triple pression de la crise économique, des Etats démocratiques et de sa propre impuissance, il consentit, le 23 février 1989, a légaliser le multipartisme et à organiser des élections libres. Le 21 mars 1989, le principal parti islamiste, le Front islamique de Salut, était fondé. A la mode des années 30, le FIS mena en partie sa campagne électorale à coups de baton. Les femmes, les laïcs et les occidentalisés constituant ses cibles de prédillection. Le 12 juin 1989, il remporte ces élections locales avec 54,25% des suffrages et dans 856 communes sur 1540. Le FLN au pouvoir ne remporte que 28% des voix. Le FIS organise alors son syndicat, le SIT, et ses organisations de jeunesse (pages 101 à 104). Survient la seconde guerre du Golfe, avec l'invasion du Koweit par l'armée du régime nationaliste et laïc de l'Irak baathiste. Réactions des USA et de l'ONU, regroupements des nationalistes arabes autour de l'Irak, puis, au furs et à mesure de l'installation de troupes « mécréantes » US sur le teritoire islamiquement sacré de l'Arabie, des islamistes. Dont les gens du FIS algérien. Départs de combattants volontaires pour l'Irak, mobilisation et entrainements de masse en Algérie, sous l'égide des islamistes locaux.
Le 3 avril 1991, le président algérien Chadli annonce des élections législatives pour le 27 juin 1991. Mécontent du mode de scrutin choisi et du découpage électoral, le FIS tente de déstabiliser l'Etat en organisant une grève générale, accompagnée de mouvements populaires de masse. Echec. Etat de siège. Report des élections. En juin 1991, se constituent dans la montagne au sud d'Alger les groupes armés islamistes qui deviendront le MIA (future AIS, bras armé du FIS) et le GIA (pages 80-81).
28 novembre 1991 : première attaque de guérilléros islamistes contre un poste militaire : 19 morts. (page 39)
Les élections législatives sont prévues pour le 26 décembre 1991. Un grand meeting islamiste a lieu le 23 décembre ; parole d'un des principaux intervenants : « Nous sommes prêts, pour assainir ce pays et édifier l'Etat islamique, à liquider deux millions de ses habitants. » (page 41)
Résultat du premier tour : 46,27% des voix pour le FIS, 23,52% pour le FLN, 7,45% pour le FFS laïc. 41% d'abstension. (page 41)
Le second tour est fixé pour le 16 janvier 1992. Le parti communiste et divers petits partis politiques réclament l'annulation du scrutin pour éviter la constitution d'un corps législatif islamiste et l'établissement de l'Etat islamique.
2 janvier 1992, meeting du FIS, propos de son chef : « Notre combat est celui de la pureté islamique contre l'impureté démocratique… » (page 48)
4 janvier : Premiers mouvements de l'armée algérienne.
11 janvier : Le président Chadli, qui aurait promis au FIS de limoger les chefs militaires hostiles aux islamistes en échange d'une cohabitation calme avec le futur parlement dominé par le FIS, est poussé à la démission par les généraux. Sa démission provoque l'annulation des élections… Les cadres du FIS entrent dans la clandestinité. Mohammed Boudiaf, un des leaders de la lutte pour l'indépendance, écarté du pouvoir depuis longtemps, est nommé président. Il arrive à Alger le 16 janvier 1992. Il veut lutter contre la corruption de l'Etat et contre le péril islamiste.
19 janvier 1992 : Assassinats de policiers par des islamistes
22-29 janvier : Arrestations d'islamistes par les forces de sécurité.
2 février 1992 : Une fatwa ordonnant le djihad contre l'Etat algérien et les partisans de la laïcité et de l'occidentalisation sociale et politique est promulgée.
Le président Boudiaf est assassiné le 29 juin 1992. Dès lors, la guerre civile peut commencer. Elle connaîtra une accélération progressive, chaque adversaire durcissant ses coups : attaques de patrouilles militaires et de casernes, sabotages, meurtres de fonctionnaires, enlèvements et viols, attentats à la bombe du côté des guérilleros islamistes ; rafles, ratissages, enlèvements, tortures et disparitions de suspects du côté de l'Armée et de la Police.
Quelques repères :
Juillet 1992 : Première tentative de meurtre contre un ministre de l'Etat algérien, celui de la Sécurité. (page 89)
Fin 1992 : Le GIA se structure. (page 86)
Les Islamistes mettent en place des réseaux de soutien en Europe, chargés de fournir armes et argent. (pages 104 à 116)
22 février 1993 : Début de la campagne d'assassinats d'intellectuels et de journalistes, tous coupables de scepticisme vis à vis du projet de l'Etat islamique, par les groupes armés islamistes.
20 septembre 1993 : Début des assassinats d'étrangers non-musulmans par les groupes islamistes.
Septembre 1994 : Offensive du GIA contre les écoles de la région d'Alger, coupables de donner un enseignement incompatible avec les idées islamistes : meurtres d'enseignants, 329 collèges et lycées détruits.
1994-1995 : Apparition d'une résistance populaire organisée dans les villages isolés, destinée à les protéger des raids des commandos islamistes. (pages 190-195)
Mars-avril-mai 1996 : Enlèvement et meurtre de sept moines trappistes français. (pages 239 à 243)
20 juillet 1996 : Début des massacres collectifs de civils par les guérilléros islamistes.
Mai-juin 1999 : Le président Bouteflika accorde le pardon de l'Etat aux guérilleros islamistes s'ils se rendent.
Bilan de la guerre civile, de 1992 à 1999 :
100 000 morts au moins
400 000 cadres, intellectuels, artistes exilés à l'étranger
4731 « unités économiques » détruites
916 établissements scolaires et universitaires détruits
11 000 actes de sabotages divers (page 332)
Au fond, et c'est une opinion toute personnelle, le grand enseignement de ces épisodes tragiques est que pour éviter d'avoir à résoudre un tel problème, la meilleure méthode est d'éviter de la cultiver soi-même... Le ministre français de l'Intérieur, qui s'occupe maintenant d'organiser officiellement le culte musulman, devrait y songer. (M. X.Villan)
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