Quelques éléments intéressants:
Page 32: "Les trois premiers sultans ottomans ont souvent recours
à des derviches [religieux ou mystiques soufis, musulmans];
associés à leurs campagnes, ces derniers
bénissent le souverain et les armées et viennent directe-
ment en aide aux soldats grâce à leurs pouvoirs magiques."
Page 32: "Sous le sultanat de Murad 1er, le premier des grands
vizirs [sorte de premier ministre] ottomans constitue
le corps des Janissaires (yenit-
cher- nouvelle troupe) à partir des prisonniers, générale-
ment chrétiens, procurés par les razzias, une pratique qui
est ensuite institutionnalisée sous le nom de « ramassage »
(devshirme ). Les jeunes chrétiens enlevés à leurs familles
sont islamisés et initiés aux us et coutumes turcs, élevés au
palais du sultan ou dans des familles ottomanes."
Page 39: "Depuis que le calife abbasside, première autorité de
l'islam, a conféré une légitimité religieuse aux Seldjou-
kides de Roum en les faisant sultans, maîtres du temporel
et du spirituel, la religion musulmane s'est imposée
comme la loi morale et juridique des Turcs de l'Asie
mineure. Les premiers Ottomans la consolident et en
deviennent les hérauts en adoptant, en particulier, l'idéal
de gazi, un titre attaché à leurs noms: Osman Gazi, Orhan
Gazi, Murad Gazi."
Page 40: "Les Ottomans doivent faire face, à la fin du XVe et au
début du XVle siècle, à de nombreux soulèvements à carac-
tère social et religieux qui menacent dangereusement
l'équilibre de l'Empire. Ces soulèvements prennent nais-
sance parmi des groupes turcomans [nomades d'origine
centre-asiatique, comme les autres turcs] en butte au pouvoir
central [ottoman] et des tribus anatoliennes gagnées au chiisme
[courant minoritaire de l'islam, regardé comme hérétique par les
tenants du courant majoritaire, les sunnites] , mais
aussi dans l' entourage de docteurs sunnites séduits par des
doctrines mystico-philosophiques à caractère messianique."
[Les musulmans aussi attendent le Messie...]
Page 43: "À l'époque de Soliman, chaque village de l'Empire est tenu
de faire construire une mosquée [lieu de prière et de réunion musulman]
s'il n'en possède pas, et tout villageois contraint de s'acquitter
des cinq prières légales [islamiques]. Ainsi, les sultans méritent
par leurs oeuvres ce titre de calife [chef suprême politique et
religieux de la communauté islamique, successeur du prophète
Mahomet] qu'ils ont, d'une certaine manière, volé aux der-
niers représentants des Abbassides."
Page 44: "La souplesse du hanéfisme [l'une des quatre grandes
écoles du droit islamique sunnite] a permis,
entre autres, l' adoption de plusieurs coutumes turques qui
sont associées à la charia [droit islamique traditionnel, d'origine
arabique] et imposées par le sultan et ses
juristes pour la conduite de l'Empire. Le hanéfisme se
sépare du chafiisme [autre école de droit islamique sunnite]
qui considère, au contraire, qu' aucune
autorité n'est supérieure au Coran et aux hadiths [récit
des faits et gestes du prophète Mahomet] et rejette
le recours à la libre opinion favorisé par le hanéfisme.
Page 50: "La medrese [école religieuse] existait déjà
chez les Seldjoukides, mais
c'est sous les Ottomans qu'elle connaît un large dévelop-
pement, principalement au XVe et au XVIe siècle. Ses pro-
grammes et ses règles contribuent à en faire une institution
brillante où sont formées de grandes figures du droit, de
la théologie et de l'administration, mais son déclin est
presque immédiat et la medrese devient, surtout à partir du
XVIIIe siècle, le foyer du conservatisme religieux,..."
Page 51: "C'est la première fois, dans le
monde musulman, que la carrière des docteurs de la reli-
gion est régulée avec autant de minutie dans un système
uniforme de formation et avec une hiérarchie extrêmement
précise." [Le système arabe traditionnel de formation des
élites religieuses est en effet quelque peu anarchique, ayant
tendance à mêler, par habitude, les fonctions politiques et religieuses...]
Page 52: "Mais le déclin de l'institution [les mederses
en question] est presque immédiat et son
caractere meritocratIque est bafoué dès le milieu du
XVle siècle, alors que l'institution n'a qu'un siècle d'âge."
Page 55: "Car le soufisme
n'existe pas. Il y a des soufismes, distribués dans plusieurs
confréries différentes, dont le respect à l'égard des com-
mandements de la charia [droit islamique traditionnel]
prend des formes variant entre
une obéissance inconditionnelle et une liberté qui confine
à l'impiété."
Page 56: "Les critiques adressées aux confréries par les puristes
[musulmans de strict observance traditionnelle] ne
sont pas fausses. Peu de soufis en effet sont des mystiques
et leur intérêt pour le tekke [lieu de réunion des soufis, couvent]
vient de ce qu'il constitue l'un des rares lieux de rencontre,
d'échange et de culture après la mosquée et la medrese."
Page 148: "La Turquie connaît une évolution spectaculaire et un
retour fulgurant de l' islam au cours des vingt années qui
suivent le passage au pluripartisme."
Page 148: "En 1950, 53 % de la population d'Istanbul est née dans le
département; la proportion sera de 38% en 1985."
Page 159: "Les écoles comblent en partie les voeux
de la Turquie des campagnes qui refuse de rejeter
ses traditions religieuses; en 1964, 95%
de leur effectif provient du monde rural."
Page 162: [Années 1950-60-70] " Lentement donc mais sûrement un
« clergé » turc se reconstitue."
Page 162: "Quelques décennies après sa fondation, force est de
constater que l'école d'imams fait plus que former au
métier d'imam et de prédicateur: elle est devenue une
école confessionnelle."
Page 166: "Après vingt-cinq années de vie clandestine et malgré la
disparition d'un très grand nombre d'ordres [religieux] et de tekke
[couvents], la vie soufie réapparaît presque au grand jour. Elle devient un
vecteur des formes les plus orthodoxes de l'islam, mais
aussi un conservatoire des plus riches traditions spiri-
tuelles et culturelles ottomanes."
Page 167: "D'une manière générale, les nurcus ne représentent pas
une force fondamentalement opposée à l'État républicain,
laïque et démocratique, au contraire des islamistes radi-
caux."
Page 169: "Dans les années quatre-vingt, un ethno-
logue turc note que 97 % de la population des campagnes
d'Erzurum a encore recours aux « docteurs » populaires.
D'autres croyances, plus stupéfiantes, directement impor-
tées du Caucase et d' Asie centrale, existent en Anatolie
orientale, telle la croyance au démon Alkarïsï (à Elazïg,
Tokat, Gümüchhane, Erzincan) qui s'attaquerait aux
femmes en couches et étranglerait les enfants. On recon-
naît là l' Albasti des montagnes du Caucase et de l' Asie
centrale, l'équivalent turc du yeti de l'Himalaya."
Page 170: "La campagne apporte aussi à la ville son système de
régulation sociale traditionnelle fondée sur une sur-
veillance bienveillante de tous par tous, sous la juridiction
des anciens, une situation que l'on peut comparer à la
« France des terroirs » au XIX" siècle: solidarité de quar-
tier, morale commerciale, règles d'hospitalité, etc."
Page 175: "Le missionnaire catholique ou protestant serait l'héritier
du vieil ennemi de l'Empire ottoman : l'Europe chrétienne."
Page 176: " Outre les nationalistes, les plus féroces adversaires de la
franc-maçonnerie sont les islamistes."
Page 197: " Dans le cas d'Istanbul, pour prendre un
exemple plus suggestif, la population augmente, entre
1985 et 1990, de 1 million et demi d'habitants environ, ce
qui signifie que 290 000 personnes émigrent chaque année j
et que 800 s'y installent chaque jour: Istanbul est devenue
une ville d'immigrants et un laboratoire social et culturel."
Page 209: [Climat intellectuel des années 90]
"Le nouvel intellectuel musulman, issu des classes
moyennes, appartient à la ville, au point de croisement de
la modernité républicaine et des traditions anatoliennes. Il
n'a plus de références ottomanes comme ses prédécesseurs
des années cinquante et soixante, et il a été éduqué, à
quelques exceptions près, dans des écoles laïques."
Page 223: "Certains militants reprochent aussi à Erbakan
[l'actuel premier ministre de Turquie, chef du parti islamiste]
d'administrer le parti comme s'il s'agissait d'une communauté
spirituelle (cemaat). Or tout laisse penser que le parti est
bien une cemaat, mais sécularisée."
Page 254: "Cela dit, Erdogan ne néglige pas l'importance des con-
fréries [soufies] et des cemaat, qu'il considère comme les fonda-
teurs de la plus importante société civile du pays."
Page 272: "Le pluralisme, qui est la principale originalité de l'islam
turc, repose sur trois faits précis: un fonds préislamique sin-
gulier, la richesse du soufisme, un attrait hors du commun
pour la sociabilité confrérique."
Page 302: "En effet, les alévis ne croient pas au paradis ni
à l'enfer et professent la croyance en la réincarnation, en fait
en la métemsomatose (tenasuh), à un changement de forme
(don degichme) qui veut que l'homme épouse, après sa
mort, une forme humaine si et seulement s'il a fait le bien
de son vivant, celle d'animaux en cas contraire. Il y a là
nettement une influence bouddhiste, empruntée par les
Turcs à cette religion autrefois bien implantée dans l'Asie
centrale, à moins qu'il ne s'agisse d'une survivance d'un
culte pythagoricien anatolien."
Page 309: "Il faut enfin rendre grâce au kémalisme d'avoir
permis, en démantelant les institutions islamiques, qu'une pensée
musulmane silencieuse, marginale -hérétique aurait-on
dit autrefois -puisse se développer dans de petits cercles
informels ou dans les écrits d'auteurs isolés. Un État régi
par la charia n'aurait pas permis une telle liberté."
Page 270: "L' avantage principal que beaucoup
d'islamistes mettent en avant, en cas d'adhésion du pays,
est l'assurance d'une liberté
religieuse sous protection des institutions européennes.
Rien de plus inquiétant pour les kémalistes et les défen-
seurs de la laïcité à la turque."
Page 139: [Les réformes modernistes voulues par Mustapha
Kemal, général et pacha ottoman animateur de la résistance
anti-alliées après 1918 et fondateur de la République turque]
" Le port du fez et du turban est
interdit en 1925 ; il est remplacé par le couvre-chef euro-
péen. Le voile n'est pas prohibé, mais il est fortement cri-
tiqué."
Page 140: [idem] " En 1935, le dimanche devient le jour de repos officiel
Une autre mesure extrêmement contestée est la suppres.
sion des caractères arabes, remplacés par les lettres latines."
Page 140: [idem] "Après la perte de son représen-
tant suprême, le calife, l' islam voit donc disparaître son
administration et les fondements de sa puissance écono-
mique. Enfin, la loi sur l'unification de l'enseignemenl
place toutes les medrese sous le contrôle du ministère de
l'Éducation nationale;..."
Page 141: [idem] "Le deuxième grand courant de l'islam turc, celui des
confréries soufies, n'échappe pas au projet de réforme. En
1925, tous les ordres mystiques du pays sont dissous et
leurs couvents (tekke) fermés -on en compte 776 -, leurs
vakif [biens des fondations religieuses islamiques, inaliénables
selon l'ancien droit islamique] confisqués, leurs biens dispersés
entre les musées et les bibliothèques d'État."
Page 136: "D'une manière générale, Mustafa Kemal et ses partisans
ne visent pas à éradiquer l'islam mais à l'écarter des
affaires politiques et à le réformer."
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