Cet ouvrage est consacré à la fameuse conférence de Wannsee, où s'élabora en partie le plan de ce qui était en train de devenir «l'Holocauste », soit l'extermination à l'échelle européenne des populations juives, ou regardées comme telles, par les services de répression du régime national-socialiste. C'est dans une belle villa de ce quartier périphérique et huppé de Berlin, hier point de rassemblement à la belle saison de tout ce que la capitale de la République de Weimar comptait de bourgeoisie fortunée, haut lieu des affaires, de l'art et d'un cosmopolitisme aimable, qu'une quinzaine de hauts fonctionnaires du Troisième Reich aplanirent les difficultés qu'une telle entreprise devait nécessairement rencontrer dans sa réalisation. Selon Mark Roseman, cette réunion constitua le « …poteau indicateur indiquant que le génocide était devenu la politique officielle. (p.152) » « La conférence de Wannsee apparaît ainsi comme une sorte de trou de serrure, à travers lequel on distingue la forme de la Solution finale en gestation. P.114 »
L'un des sujets odieux abordés à Wannsee fut celui du sort à réserver aux demi-Juifs, aux quarts de Juifs, aux conjoints juifs de mariages mixtes, aux conjoints demi-juifs, quart de Juifs, aux Juifs médaillés militaires, … (pages 114 à 119).
Ce qui intrigue dans la préparation du génocide, et ce qui bouleverse la vision commune d'un système nazi discipliné et parfaitement organisé, est la conviction d'un nombre toujours plus grand d'historiens de la réalité du caractère lâche et mal coordonné de ce système. Lorsque Roseman cherche à cerner la claire volonté exterminatrice de Hitler, il ne trouve qu'une collection de menaces verbales, de discours furieux, de « prophéties », mais pas de document froid, au contenu calculé et précis, pas d'ordre explicite. Ce qui amène notre historien à cette conclusion : « L'impression dominante qui se dégage des propos de table de Hitler n'est pas la définition d'objectifs clairs par l'homme politique mais les élucubrations nocturnes d'un analphabète dans une brasserie. (p.57)»
« Ce que les recherches récentes cherchent à établir, c'est que le passage d'une politique d'occupation brutale et criminellement négligente à des mesures génocidaires s'effectuera initialement sans ordres précis venus du centre. » p.74
« Toute action antijuive menée par un responsable de rang inférieur était légitimée par la connaissance partagée du programme antisémite radical de Hitler. » p.74
Voilà le produit final de décennies d'agitation politique haineuse : un climat désinhibé face à l'idée du meurtre de masse. L'atmosphère délétère produite par la guerre et certaines difficultés matérielles firent le reste.
On voit bien là que l'exemple du chef, l'expression d'une idée générale, suffit à donner à des subordonnés zélés la direction à suivre et la définition précise de l'objectif à atteindre. Staline annotait souvent les listes et rapports que les chefs de sa police politique lui faisaient parvenir. Il choisissait froidement qui devait plus particulièrement mourir. Hitler était plus délicat. Il ne faisait massacrer, en général, que par catégories. On voit par là que le meurtre de masse peut se superviser de différentes manières. À méditer et à appliquer à d'autres systèmes totalitaires.
M.X.Villan
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