Quelques passages intéressants:
Page 17:
"Les noms des bédouins (de tout le monde dans la péninsule
arabique en fait) obéissent à des règles assez simples, qui ont
uniquement le tort d'être totalement différentes de celles des
bureaucrates dont la formation suivit les critères occidentaux.
Prenons un dénommé Ahmed Mubarak Mohsen al-Mahra. Son
nom propre est Ahmed, il est fils de Mubarak, petit-fils de
Mohsen de la tribu des Mahra ; son père est Mubarak Mohsen
Juma et son fils pourrait être Sa'id Ahmed Mubarak. Al-Mahra,
en fait le nom de la tribu, est utilisé comme équivalent de nom
de famille lorsqu'il faut traduire ce système ancestral en termes
modernes, pour délivrer des papiers d'identité ou tenir des
registres de santé, par exemple. A vec des variations, ce système
se retrouve dans tout le Proche-Orient arabe, quoique dans les
pays du Levant des véritables noms de famille sont apparus, ou
ont été imposés; ils sont presque toujours issus des noms de
tribus ou clans ou de sobriquets. Rechercher un individu dans
l'annuaire téléphonique d'une grande ville arabe est quasiment
impossible en face des pages et des pages d' « Ahmed » ou de
« Mohammed ».
Page 51 (visiter ou ne pas visiter la mosquée...):
"Oui, il est vrai que les non-musulmans (encore
communément appelés infidèles -kaffir) ont accès aux
merveilleuses mosquées historiques de Turquie ou de Syrie,
comme la Mosquée des Omeyyades de Damas, basilique
romaine, puis byzantine avant de devenir mosquée. Mais la
Turquie et la Syrie sont deux pays qui encouragent le tourisme
tout en proclamant une laïcité officielle. Un infidèle à la
mosquée d'Omar à Jérusalem, même habillé comme il faut et se
es tenant avec la plus grande circonspection, sera toujours regardé avec suspicion. De même dans presque toutes les belles, mosquées égyptiennes. Au Maroc, si tolérant par ailleurs, les la mosquées sont simplement interdites aux non-musulmans.
Dès lors, il n'est pas étonnant que peu de musulmans
ne montrent une grande curiosité pour visiter des églises, même
dans un contexte hautement sécularisé."
Page 49 (Préparatif d'une visite à Kerbala, en irak, interrogatoire):
"Je le rassure: oui, je sais exactement où nous allons, et oui,
je comprends que ces lieux sont considérés comme très saints
par les musulmans. Je promets de m'habiller correctement -
jupe longue, manches longues, et de prendre avec moi un
foulard pour couvrir mes cheveux. Cela le rassure assez pour
qu'il pr,enne l'air un peu moins crispé. A vant de poursui vre :
-Ecoute, je comprends votre curiosité. Moi aussi je suis
curieux. Vous savez, je ne suis pas chi'a moi-même. Mais votre
venue me pose encore des problèmes. Dites-moi, est-ce que vous croyez en Dieu ?
-Oui.
Le catéchisme continue.
-Est-ce que vous êtes prête à déclarer que Mohammed est
son prophète ? »
J'hésite un instant avant de répondre, en choisissant mes
mots. « Je suis prête à dire que Mohammed est un de ses
prophètes. » J'avais passé beaucoup de temps depuis une année à me documenter sur l'islam, à l'étudier, à lire le Coran. Je
pouvais dire, honnêtement, que je pensais que Mohammed était
un des prophètes, mais pas le prophète. Le juge aimable laisse
paraître son soulagement.
-C'est bon. Vous êtes vraiment des nôtres. »
Page 129:
Les Omanis qui sont venus à Bahreïn 1975, à l'apparence plus
qu'exotiques, quasiment sauvages, font presque peur. Les
visages foncés sont mangés par de grandes barbes
broussailleuses et très noires qui ont très peu en commun avec
les impériales soigneusement taillées des Saoudiens ou les
barbes de trois jours à la Arafat. Elles ressemblent à s'y
méprendre aux barbes « islamistes » , quoique, comme j' allais
le découvrir, les Omanis sont loin de ceux que nous appellerons
des islamistes par la suite. Ils sont porteurs de turban dans un
monde d'hommes en keffiya auquel je commence tout juste à
m'habituer. L'étrangeté de leur apparence se parachève par leurs
-boucles d'oreilles qui déclenchent en moi, dans un premier
temps, un sentiment presque de répulsion. Les grandes boucles
~n argent, trop lourdes pour être pendues aux lobules, sont
Insérées directement dans la partie cartilagineuse de l'oreille où
elles provoquent de grands trous en forme de larmes. On pouvait
se demander combien de temps il faudrait avant qu'elles
n arrachent l'oreille entière.
Pages 201-2 (afrocentrisme, et réfutation; les Egyptiens ne sont pas noirs!!!):
"C'est aussi sur le Fulk as-Salamah (yacht officiel omani) que je entends pour la
première fois exposer la théorie de l' afrocentrisme et le modèle
de l' Athéna noire. Cette théorie veut enlever toute idée
d'originalité au génie philosophique grec, n'y voyant que des
emprunts, pire des vols, de l' Afrique noire, assimilé à l'Égypte
ancienne. Malgré la sympathie que je porte envers les efforts des
Africains pour se faire reconnaître et transcender les préjugés
dont ils ont depuis trop longtemps été victimes, je dois avouer
de grandes difficultés à suivre les apôtres de cette théorie.
J'y vois trois problèmes principaux. Premièrement, elle est
Complètement anhistorique; ici n'est pas l'endroit pour en
siCuter tous les détails, mais un regard très rapide suffit à
émontrer le ridicule d'affirmations comme « Platon et Aristote
-Ils volé leurs idées dans la grande bibliothèque d'Alexandrie ».
Pour commencer, la bibliothèque d' Alexandrie fut établie après
mort des deux philosophes. Faire remarquer de telles
absurdités n'est pas, malheureusement, accepté par les
afrocentristes convaincus; ils répondent que ces détails
d'histoire ancienne sont sans importance et tout ce qui compte
ce sont les siècles d'injustice.
...
Deuxièmement, je ne peux pas admettre la charge de
"vol des idées ». Les idées ne sont pas des objets matériels, prêts
à être volées; les idées existent pour être diffusées, partagées,
empruntées, utilisées comme fondation pour aller plus loin
dans la pensée...
...
Troisièmement, les Égyptiens ne sont pas des « Africains
noirs » et Cléopâtre -car c 'est à elle que l'épithète absurde
d' Athéna noire est le plus souvent appliquée -moins que tous.
Les Égyptiens anciens comme modernes habitent, certes, sur le
versant méditerranéen du continent africain; cela ne les fait pas
plus Noirs d'Afrique que des Carthaginois, des Berbères,des
Ibères ou des arecs... Les seuls Noirs en Égypte étaient des
victimes de la traite des esclaves, ou leurs descendants comme
c'est encore le cas aujourd'hui, si l'on excepte quelques
immigrés ou réfugiés. Les Égyptiens, comme beaucoup
d'Arabes, ne sont, et de loin, pas insensibles aux nuances de la
peau; les commentaires à propos de candidats au mariage
surtout sont éloquents. Moins il y a de mélanine, mieux ça vaut,
et les photographes professionnels maîtrisent bien l'art de
retoucher des portraits à la peau trop foncée."
Page 233 (une tribu de plus au Yemen...):
"Le Yémen est depuis longtemps le sujet favori d'une tribu
dévouée d'écrivains et photographes occidentaux; des
archéologues et ethnologues y trouvent une abondante matière à
étude. Le pays est superbement beau, photogénique; les gens -
je généralise honteusement -ne sont pas tant « gentils » que
francs, directs, probes et souvent mordants, sinon franchement
querelleurs. Ils ont une réputation d'être d'excellents guerriers.
En un mot, de vrais montagnards. En se promenant dans le souq
de Sana' a, dans la vieille ville entourée de ses murailles, un des
plus beaux ensembles architecturaux du Proche-Orient, on se fait
constamment bousculer dans la foule, sans franche hostilité mais sans beaucoup d'égards non plus. Je me suis surprise plus d'une fois à regretter l'exquise politesse de la rue à Mascate ou même Jeddah."
Page 261 (petite querelle en famille au Yemen):
"Mon premier voyage au Yémen du Sud eut lieu quelques
mois après la guerre civile du début de 1986. Cette guerre aussi
brève que violente reste inexplicable autrement que par des
rivalités de personnes à l'intérieur de la nomenklatura. Elle n'a
duré que quelques jours, mais a fait au moins 10000 morts, plus
un nombre inconnu de blessés. Tous ceux qui ont vécu cette
tempête à Aden en sont restés traumatisés.
Le traumatisme est volontairement prolongé par la
transformation très rapide en musée du bâtiment central du parti
unique où tout a commencé par une fusillade en pleine séance du Politburo. L'aménagement muséographique est sommaire maisefficace. Il consiste à laisser tout en l' état. des chaises
retournées, des cendriers pleins de mégots, jusqu ' aux taches de sang et ce que notre guide dit être des fragments de cervelle
projetés contre les murs, les cervelles en question ayant
appartenu à des ci-devant hauts dignitaires du pays. Les reliques, car c'est de cela qu'il s'agit, les plus fragiles sont protégées pardes plaquettes de verre et tout est resté en place, à l' exception des corps eux-mêmes. Les combats se sont déroulés dans tout le bâtiment et des témoignages macabres se trouvent jusque dans les cuisines. De l'art conceptuel pour de vrai."
Page 263 (aaahhh, le muezzin sans l'électricité...):
"L'aube n'est pas annoncée par le chant des oiseaux mais par
l'appel à la prière. Quand le muezzin a une belle voix et renonce
au haut-parleur hurlant c'est aussi un beau réveil -surtout
lorsque, en bonne conscience, on peut se retourner pour dormir
une heure de plus."
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